Toute sa vie, Charles de Gaulle s'est fait une certaine idée de la
France, de sa langue et de sa littérature. Une étude lexicale permet de préciser laquelle (voir plus loin l'entretien avec Charles Bernet). Mais la parution dans la prestigieuse collection la Pléiade des Mémoires est un adoubement posthume du général comme écrivain. A noter que cette édition ne paraît pas pour le trentième anniversaire de la mort du premier Français libre et fondateur de la Ve République, le 9 novembre 1970, à quelques jours de ses 80 ans, mais pour le trente et unième de son départ de l'Elysée après un référendum perdu, le 27 avril 1969.
De Gaulle exerça solitairement son pouvoir d'écrivain. En août 1938, il écrit à Pétain, dans une lettre citée par Marius-François Guyard: «Monsieur le Maréchal, vous avez des ordres à me donner en matière militaire. Pas sur le plan littéraire.» Peut-être de Gaulle a-t-il été, écrit l'éditeur de l'édition Pléiade, «sinon le dernier grand écrivain français, le dernier grand écrivain de la France». Et Marius-François Guyard de citer aussi Claude Roy, qui voyait en de Gaulle «un de ces grands écrivains latins de langue française», et François Mauriac, qui retrouve dans les Mémoires de guerre (les Mémoires d'espoir, inachevés, sont moins estimés) tantôt «l'accent de Pascal», tantôt «le grand ton majestueux ["] à la fois celui de Bossuet et celui des Mémoires d'outre-tombe». Le général aux conceptions stratégiques d'avant-garde ne fut pas un écrivain rebelle. Il app