Dracula n'a jamais hanté les Carpathes, quoique en disent les
légendes nourries par une abondante littérature romantique, dont le célèbre roman éponyme de Bram Stoker. Le tourisme en profite avec des tours organisés sur les traces de Vlad Dracul (le diable) et de son fils Vlad Tepes (l'empaleur), sanguinaires princes valaques du XVe siècle, mais les paysans et les bergers de la montagne n'utilisent guère le mot vampire. S'ils déposent toujours cinq noix, cinq pierres rondes et cinq oeufs dans la tombe pour que le mort y reste tranquille «comme une poule qui couve», ils craignent d'autres revenants et esprits malins (les muroï et les strigoï) qu'une transparente étymologie ancre dans les plus anciens mythes grecs. Le strigx grec est l'orfraie dont le cri glace le sang, le moros précipite le destin funeste des héros d'Homère, Eschyle ou Sophocle. «Carpathes, Rhodope, Balkan, Pinde, Olympe n'ont rien de tristes tropiques. Ce sont des terres de grandeur et de drame, de dieux, de héros, de saints, que remuent le mythe et le rite parfois dans leur perfection», écrit Jean Cuisenier en conclusion d'un foisonnant ouvrage qui recueille les souvenirs de trente ans d'études dans les villages les plus reculés des Carpathes. Le grand ethnologue français, qui fut le fondateur puis le directeur pendant deux décennies du musée des Arts et Traditions populaires, a parcouru toute l'Europe du Sud-Est et a aussi beaucoup écrit sur la Turquie comme sur le Maghreb. Les paysans et les montagnes du p