Antonio Gramsci rapporte le cas du malin qui, n'ayant ni fonctions
ni titres à exhiber, fait imprimer sur sa carte de visite une simple mention: contemporain. Voilà une trouvaille: elle vous fait un être sans histoires et sans histoire, exclusivement occupé à passer avec les événements qui passent, ou à échapper au temps, en vivant dans l'illusion de rester immobile, comme le train qui roule parallèle à un autre. Voilà un danger aussi: car un tel homme est l'homme de l'oubli, l'homme qui obéit et cède aux sollicitations de l'actuel, réceptif à tout ce qui est, fidèle à rien de ce qui n'est plus, bardé de droits et dégagé de tout devoir. Voilà une façon, enfin, de se rendre définitivement sourd à la voix des absents, à la voix qui «vient de l'autre rive», comme dit Lévinas, à ce qui n'est pas là où je suis, à autrui, la transcendance ou le «non-contemporain», et d'effacer ainsi une question essentielle: y a-t-il un devoir de mémoire? C'est sur cette question bien connue, en classe de philosophie, par les candidats au baccalauréat que s'ouvre l'essai d'Alain Finkielkraut, Une voix vient de l'autre rive.
Depuis la Sagesse de l'amour, on savait son attachement à la pensée d'Emmanuel Lévinas: ici, Finkielkraut évoque aussi celle de Vladimir Jankélévitch, pour attester que la mémoire est l'archétype du devoir, le «paradigme du scrupule ou de la responsabilité». Le présent n'a guère besoin d'auxiliaires pour être là. Le passé, en revanche, «doit être retenu par la manche comme qu