Pour les mystiques persans, la vérité est un miroir fracassé. Chaque
homme qui passe en ramasse un morceau et croit qu'il contient toute la vérité. L'Afghanistan, jadis et même naguère terre des soufis et des grands brûlés de Dieu, est comme ce miroir. Les factions islamistes l'ont brisé, déchiré en territoires ennemis des uns des autres et chacune, dans le lambeau de pays qu'elle contrôle, croit y établir le règne de la vérité divine. Mais quelle autre vérité peut-il y avoir dans ce pays ravagé, dépecé, décervelé, que celle des cimetières, des ombres et des cendres. Et cette vérité-là, on ne s'attendait plus à ce que quelqu'un la ramasse et l'écrive, avec les mots de tous les jours et cette pudeur si caractéristique des Afghans, et qu'en la disant ainsi il dise tout l'Afghanistan et même la Tchétchénie, pays frère dans la douleur. La dernière grande voix afghane, Sayyed Bahodine Majrouh, l'avait déjà évoquée dans une épopée (1) avant de tomber en 1988 sous les balles d'un tueur islamiste dans sa maison de Peschawar (Pakistan). La voix de Atiq Rahimi, jeune écrivain réfugié en France, est plus intime et son écriture moins lyrique dans l'évocation du tragique.
Tout commence par le massacre d'un village afghan par l'armée soviétique. Un grand-père a survécu, ainsi que Yassin, son petit-fils, devenu sourd. L'enfant croit que ce sont les autres qui sont devenus muets. Il ne sait pas qu'il n'entendra plus jamais la glissade soyeuse des ruisseaux de montagne, les cancans des ois