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Libération

Gris du coeur. Désarmés, les personnages des nouvelles de John Cheever n'ont pas de merveilleuses années devant eux. John Cheever, Insomnies. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Dominique Mainard. Le Serpent à plumes, 350 pp., 135 F.

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publié le 25 mai 2000 à 0h41

«Je crois que votre fille a prévu de partir en voyage, déclara Mr.

Flanagan.» Parce que Mr. Lawton boit trop, certainement, alors sa gamine n'est pas à l'aise chez elle. «Oh, pourquoi voulait-elle s'enfuir? Les voyages ­ et qui le savait mieux qu'un homme qui passe trois jours loin de chez lui toutes les deux semaines? ­ étaient un monde de cabines d'avion surchauffées et de magazines tous identiques, un monde où même le café, même le champagne, avaient un goût de plastique. Comment pouvait-il lui faire clairement comprendre qu'un foyer ­ "Home, sweet home ­ était le meilleur endroit qui soit?» Mais comment faire, c'est l'ambition de tous les personnages des nouvelles de John Cheever, pour qu'un foyer soit vraiment un endroit agréable?

John Cheever est né en 1912 près de Boston et mort en 1982 à New York, et cette géographie rend compte de son travail littéraire. De ses origines, il conservera un puritanisme hawthornien, avant de devenir un pilier du New Yorker, à l'égal de John Updike. Son père fut un petit industriel ravagé par la crise de 1929. «La faillite du père ­ son fiasco quasi fitzgeraldien ­ jette son ombre sur toute l'oeuvre de John Cheever, qui regardera toujours en déclassé, en héritier déchu, le monde de la haute bourgeoisie auquel il appartient et n'appartient pas tout à la fois», écrit Pierre-Yves Pétillon dans son Histoire de la littérature américaine (Fayard). Ses personnages sont toujours confrontés à des problèmes d'argent, même quand ils n'en sont pas ent