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Critique

Les illusions perdurent. Comment soumettre, de gré ou de force, le réel à ses chimères: le rêve américain selon Steven Millhauser. Steven Millhauser. Martin Dressler ou le roman d'un rêveur américain. Traduit de l'américain par Françoise Cartano. Albin Michel, 304 pp., 125 F.

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publié le 1er juin 2000 à 1h29

De passage à Paris il y a quelques années pour la sortie de son

roman le Royaume de Morphée, Steven Millhauser se définissait sans aigreur mais non sans amertume comme un «romancier invisible», invisible dans les rayons des librairies américaines, inconnu des collections de paperbacks. La France, disait-il, le sauvait d'un oubli total. Son premier livre traduit, la Vie trop brève d'Edwin Mulhouse, écrivain américain, 1943-1954, racontée par Jeffrey Cartwright,, couronné par le prix Médicis étranger en 1975, en avait fait brièvement la coqueluche de la critique, de ce côté de l'Atlantique, sans pour autant plaider en sa faveur au pays de Babbit. Mais patiemment, obstinément, Millhauser poursuivait sa germination souterraine et le voici aujourd'hui consacré par un Pulitzer pour Martin Dressler ou le roman d'un rêveur américain.

Symboliquement, l'histoire de son héros pourrait être la sienne, celle d'un arrière-petit-fils d'émigré alsacien ­ Millhauser vient de Mulhouse ­ parvenu par la seule force du rêve à bâtir un empire. Le New York de la fin du XIXe siècle qui sert d'écrin à cette éclosion n'est pas sans rappeler celui de Stephen Crane, ou de Simon Marley, le fantomatique héros de Jack Finney jouant avec l'espace et le temps des constructions gothiques donnant sur Central Park. Mais le décor de la ville en gestation que Millhauser nous décrit avec un luxe de détails obéit à une distanciation infiniment plus onirique et pressante du héros de l'histoire, Martin Dressler. Celui