Vous ne connaissez pas Ernst Gleicher. C'est normal. Aux Etats-Unis, il n'est pas écrivain. Son livre n'existe pas, sinon traduit en français. De lui on ne saura rien de plus que ce qu'en indique son traducteur: «Décembre 1944: un jeune réfugié berlinois fuit une Europe ravagée par la guerre (É). A Los Angeles, il est attendu par Arnold Schönberg. (É) Universitaire, auteur de nombreux ouvrages de critique littéraire.» Mais on remarquera tout de même que le nom de l'auteur est prédestiné, qui signifie «même», «identique» en allemand (gleich). Et tout à fait assorti à son héros sans qualités.
Curieux petit livre, improbable croisement du désarroi de la vieille Europe suicidée et des joyeusetés triviales du postmodernisme américain, Après la fermetureÉ (When later comes en VO) met en scène E., antihéros neurasthénique: «Frappé par le déclin de son élan vital, E. s'inscrivit à un atelier de musicothérapie au Refuge municipal de la plage.» Dans une série de chapitres décousus puis ouvertement oniriques (pp. 62-109) dont l'ordre parodie la genèse (depuis le «premier» jusqu'au «sixième jour»), E. rencontre d'étonnantes silhouettes: le juif de Malte, à qui, nous dit-on, E. n'osait pas «casser la gueule en représailles de l'invasion de son rêve»; K., sadomaso délaissée qui, «à cette heure même, essayait désespérément de s'attacher toute seule aux colonnes de son lit»; J., qui n'a qu'une solution à proposer à tous les problèmes, le vol, ou encore P., tellement lié à sa défunte mère qu'