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Libération
Critique

Un histoire de flou

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En mélangeant récits, essais et poèmes, avec pour héros l'art et le langage, Jean Frémon tente de conserver le réel en le tenant dans l'ombre.
publié le 22 juin 2000 à 1h43

Entre les pages de la Vraie Nature des ombres gît une information peu réjouissante. La littérature n'est pas infinie. Des calculs assez simples peuvent fournir le nombre de livres possibles "écrits avec des mots réels et signifiant plus ou moins quelque chose." Leibniz en son temps avait déjà fait l'opération: il trouva qu'il y avait 1 suivi de 7 300 000 000 000 zéros livres possibles. Mais Leibniz se fondait sur un alphabet de cent lettres. Avec nos pauvres vingt-six lettres, on imagine que le chiffre est moindre encore. Chaque livre écrit est donc d'une importance capitale: ce n'est pas un livre de plus, mais un de moins parmi tous les possibles.

Il n'est pas certain que l'information fournie par Jean Frémon, grand lecteur de Borges, soit absolument scientifique, mais ce qui est certain, en revanche, c'est qu'elle correspond très bien à l'idée qu'il se fait de la littérature, chose rare et précieuse, s'arrachant sur fond de silence. Citant quelques-uns des contemporains (Beckett, Edmond Jabès, Louis-René des Forets, Roger Laporte, Claude Royet-Journoud) qui l'ont accompagné au cours de son propre travail (Frémon est né en 1946, il a publié une douzaine de textes dont trois romans chez POL), il conclut: "Il y a dans toutes ces oeuvres une farouche, une obstinée volonté de dire qui n'a d'égale qu'une farouche et obstinée volonté de taire."

La Vraie Nature des ombres est un recueil de textes, mêlant récits, essais et poèmes, dont les héros secondaires sont des écrivains ou des