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Libération
Critique

Le chemin solitaire

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Quatre petits textes en guise de testament spirituel d'Anna-Maria Ortese, morte en 1998, qui n'eut pas peur des emportements de l'âme à l'heure du néoréalisme.
par Cécile MOSCOVITZ
publié le 29 juin 2000 à 1h56

Avant de mourir en 1998, Anna-Maria Ortese publia un dernier livre, testament spirituel conçu à partir de quatre "souvenirs" et "conversations", échelonnés de 1974 à 1989, inédits ou non, récrits ou inventés. (Il y en a cinq dans l'édition originale: "Là où le temps est un autre" a été traduit séparément chez Actes Sud en 1997, et non repris ici. C'est dommage.) La romancière, née en 1914, raconte ici son siècle, son pays, sa littérature et sa vie. Une "vie moche", avoue-t-elle sans ambages. Parce que ses conditions d'existence furent difficiles dans une Italie dont elle accuse l'évolution mercantile et cynique, dans un monde intellectuel qu'elle s'aliéna en partie depuis La mer ne baigne pas Naples (1953): sans doute parce que, à l'âge du néoréalisme, son sens du réel était un peu trop crépusculaire et fantasmatique.

"Je sais une chose. C'est que la Terre est un corps céleste, et que la vie qui s'y épanche depuis des temps immémoriaux est antérieure à l'homme, antérieure à la culture, et qu'elle demande à continuer d'être, et d'être aimée, de même que l'homme demande à continuer d'être, et d'être accepté, même s'il n'est pas immédiatement compris, et surtout s'il n'est pas utile." Tel est son sens du réel, copernicien, qui la conduit à voir la Terre depuis le Ciel en la classant parmi les "corps célestes". Notre planète n'est pas vouée à rester "obscure et perdue", sublunaire et lourde; écrire est d'ailleurs y "jeter des filets aériens" et salutaires. Le mot "céleste" sert à