L'abbé Morellet n'appartient pas au panthéon des écrivains du XVIIIe siècle mais ses Mémoires sont pourtant un témoignage exceptionnel, et des plus vivants, sur le microcosme littéraire et politique des Lumières. Il nous fait découvrir un Diderot "facile à vivre" et dont "la conversation avait une grande puissance et un grand charme", un Beccaria miné par la jalousie à cause d'une belle Milanaise ou un Adam Smith à peine capable de parler français et que l'abbé croise chez Helvétius. Le personnage de Morellet est intéressant en ce qu'il résume bien certaines contradictions de ce milieu intellectuel dans les quelques décennies qui précèdent la Révolution. D'un côté, c'est incontestablement un homme des Lumières, par ses idées mais aussi par ses activités: il participe un temps à l'Encyclopédie, il défend les idées libérales en économie politique, il est même embastillé quelques mois pour avoir égratigné dans un pamphlet une princesse trop bigote, ce qui lui vaut à sa sortie d'être invité dans tous les salons qui comptent. D'un autre côté, ces Mémoires écrits vers 1800 sont comme un long soupir où domine la nostalgie de cet Ancien Régime finissant où il faisait bon vivre entre gens d'esprit mais qui a trop vite disparu, emporté par une Révolution que l'abbé n'a pas vue venir, qu'il n'a pas comprise et qui a compromis sa position littéraire.
Sa vie, telle qu'il nous la présente, est parcourue par une obsession: comment devenir un homme de lettres et avoir assez de revenus pour v