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Libération

Santiago des nazis

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Après Heidegger, idole dénoncée dans son précédent essai, le philosophe chilien Victor Farias s'attaque au passé trouble de son pays.
publié le 13 juillet 2000 à 3h03

En 1967, un étudiant chilien de 27 ans croise, dans l'ascenseur de l'université de Fribourg, en Allemagne, le philosophe Martin Heidegger. Le regard intense du vieil aigle penseur se pose sur le jeune Sud-Américain. "En ce monde, s'amuse Victor Farias, aujourd'hui professeur au prestigieux institut ibéro-américain de Berlin, l'ascenseur est l'un des derniers lieux de concentration. Tout peut y arriver..." Il vient alors d'achever sa thèse sur Franz Brentano, philosophe précurseur de la phénoménologie. Il vit en Allemagne depuis quatre ans. Il admire Heidegger, lu après Husserl à Santiago du Chili quelques années plus tôt. Et soudain, pour la première fois, le grand homme lui parle: "J'ai lu votre thèse. Très intéressante! Vous allez pouvoir m'expliquer une chose qui s'est passée entre Husserl et Brentano." Trente-trois ans plus tard, Farias mime très bien sa stupéfaction: lui, expliquer quelque chose à Heidegger? A ce père penseur, ce gourou? "Je ne pouvais pas y croire..." Mais l'aigle lui donne rendez-vous, le jeudi suivant, chez lui, à 17 h 30 précises. Farias est entré dans le temple heideggerien.

A cette époque, l'engagement nazi du philosophe est dissous dans sa gloire intellectuelle. De nombreux penseurs y voient le nouveau prophète de l'Etre et du Temps, et l'homme qui a su penser la technique à l'ère nucléaire. Au jour J, Farias arrive à l'heure H. Son hôte lui décortique sa thèse: "Il l'avait marquée ligne à ligne et la connaissait jusque dans le moindre détail. Il