Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour écrire ce témoignage?
En 1999, alors que j'étais à Paris, entre deux séjours en Asie, j'ai reçu un coup de fil de Nate Thayer, journaliste américain spécialiste des Khmers rouges (c'est lui qui a filmé le procès Pol Pot), qui me dit qu'il a retrouvé Douch à Battambang. C'était peu avant que Douch soit arrêté et emprisonné à Phnom Penh pour crimes contre l'humanité. «This man loves you», me dit-il en parlant de Douch, qu'il avait pu interviewer pendant des heures et des heures, «cet homme t'aime, il voudrait te voir, tu lui as sauvé la vie». Extraordinaire! Non seulement cet homme se souvenait de moi, trente ans après, mais j'étais devenu pour lui une sorte de bonne conscience, sur le thème: «j'ai fait libérer cet homme parce qu'il n'était pas coupable», donc «moi les innocents, je sais les reconnaître». J'étais comme sa planche de salut. Ce coup de téléphone m'a profondément remué. J'avais écrit il y a des années le premier chapitre du livre, dix pages, mais je n'avais pas continué. Cette histoire me semblait impossible à raconter, elle se dérobait sans cesse, totalement enfouie. D'apprendre que Douch était encore vivant m'a complètement débloqué: j'ai repris le manuscrit , j'ai écrit le Portail quasiment d'un trait, en dix mois. D'habitude, l'écriture est pour moi un exercice laborieux, là j'éprouvais des émotions fortes, presque de la joie.
Pourtant, il ne s'agit pas d'un livre gai.
Non, mais c'était comme une libération. Ce livre aurait pu s'appeler Tant qu'il y aura des hommes. Tant qu'il y aura des hommes, il y aura de la violence, de