«Mais qu'avons-nous à faire de la réalité, quelle place voudra-t-elle bien nous réserver?» La question que pose Yaïr est plus celle d'un écrivain que d'un héros de roman. Mais lui-même écrit. Il a vu Myriam, un soir, il a surtout cru discerner quelque chose en elle et a décidé de la bombarder de lettres pour créer entre eux une relation exceptionnelle qu'une rencontre trop rapide risquerait de saboter. La première partie du dernier roman de David Grossman est constituée des lettres de Yaïr, la deuxième des réponses de Myriam, car elle a répondu, elle aussi a voulu jouer le jeu, n'a pas trouvé fou l'épistolier inconnu, et la troisième partie de leurs voix entrecroisées. «Voilà ce que je veux, écrit Yaïr à Myriam, que tu sois le couteau pour moi; et moi pour toi, je te le promets, un couteau tranchant, mais avec pitié, ton mot, j'avais oublié qu'il était autorisé, une sonorité si tendre et délicate, un mot sans peau», car les mots, leurs sous-entendus, leur plus ou moins grande connivence avec la réalité, sont les véritables héros de Tu seras mon couteau.
David Grossman est né en 1954 à Jérusalem. Il avait treize ans lors de la guerre des Six Jours. Il s'était pris dans les semaines précédentes d'une soudaine passion pour la natation parce que, à force d'entendre une radio arabe menacer de jeter les juifs à la mer, il avait cru ces mots et souhaitait assurer ses arrières. Journaliste parlant arabe, il a écrit (toute son oeuvre est publiée au Seuil) le Vent jaune et les Exilés d