Madrid, envoyé spécial.
Juan Manuel de Prada ne ressemble pas à ses livres. Ce grand jeune homme dégingandé, vaguement mou, un peu absent, timide et sérieux, en pantalon noir et chemise blanche, qui semble s'accrocher à ses lunettes comme un ivrogne convalescent à son lampadaire, suffocant dans la touffeur de la canicule madrilène («trois mois d'hiver, neuf mois d'enfer»), qui fume de rares cigarettes d'une marque choisie au hasard dans un distributeur pour calmer son trac d'avoir à répondre à des questions, et ne fait que l'augmenter car au fond il ne sait pas fumer, ce jeune homme n'a pas l'air d'avoir écrit ce livre fleuve de six cents pages qui impressionna tant l'an dernier, les Masques du héros, époustouflant, haletant, baroque, inventif, douloureux, historique, picaresque, plein d'adjectifs et sans la moindre volonté de faire court (Libération du 25 février 1999), pas plus qu'on oserait lui attribuer cette Tempête qui paraît aujourd'hui et met cul par-dessus tête toute la ville de Venise en plein hiver, qui réussit à mêler la caricature du roman policier au roman policier même, le ridicule de l'amateur d'art et l'essence même de l'art, l'invraisemblance et la minutie, la lenteur et le thriller, la laideur et la beauté de Venise, la littérature et l'exercice de style. Et, on l'a déjà dit, on ne s'en lasse pas, l'énergie arborescente de la langue castillane de Prada alliée à la traduction de Gabriel Iaculli, modeste, précise et fluide comme une version originale.
Si on le