Grand salon de la maison Gallimard. Jean-Jacques Schuhl parle le premier. Il dit: «Je dis des mots, vous ferez les phrases.» Mais ce n'est pas vraiment la peine, les mots tiennent bien tout seuls.
Je me vis comme un journaliste rentré. La grande époque de France-Soir. Il y avait quatre éditions chaque jour avec des microvariations de l'une à l'autre. Le monde
qui vient se prendre là, les journalistes anonymes, les articles non signés, le flot de l'information. Tout ce qui arrivait se transformait en mots sans l'intervention de quelqu'un. C'est la phrase de Lautréamont: «La poésie doit être faite par tous, non par un seul.» Par tous ou par personne, cela revient au même. Une poésie involontaire, comme tout le reste. J'aime bien quand c'est involontaire. Ça arrive, c'est là.
Ne pas publier pendant longtemps fut-ce aussi involontaire?
(Très long silence.) Si on pousse jusqu'au bout cette idée de collectif, d'anonymat, du refus de l'auteur et de la création, on débouche logiquement sur le silence. Il s'est ajouté à cela que j'ai écrit mes deux premiers livres sous l'influence des choses vues. Ils étaient aux confins de la poésie et du journalisme. Etait-ce perte de sensibilité de ma part ? Etait-ce que les choses ou l'histoire étaient devenues plus ternes ? J'ai eu à un moment le sentiment que peu de choses survenaient, qu'elles étaient moins denses, moins sérieuses.
Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire «Ingrid Caven» ?
Ingrid Caven. Un modèle. Le peintre et son modèle. Le baroque. Po