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Libération
Critique

Ingrid Caven Chant contrechamp

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Jean-Jacques Schuhl distille le naufrage d'un monde où planent, de Fassbinder à Bette Davis en passant par Yves Saint Laurent, les figures mythiques des années 70. Rencontre, autour du roman «Ingrid Caven», avec un maître de la dissonance, capable de faire chanter ensemble les sirènes d'Ulysse et la Castafiore de Tintin.
publié le 7 septembre 2000 à 4h06

Attention, danger de confusion : Ingrid Caven n'est pas une biographie d'Ingrid Caven, chanteuse, actrice, femme de Fassbinder, égérie d'Yves Saint Laurent, entre autres. Jean-Jacques Schuhl n'aime pas les biographies, elles figent les vies. Lui-même dit ne pas en avoir: naissance à Marseille, en 1941, puis «pas de mariage, pas d'enfant, presque pas de métier. Rien. Zéro.» Restent les livres. Ingrid Caven est son troisième roman, très beau. Les deux autres, Rose poussière et Télex n°1 (1), furent publiés en 1972 et 1976. Vendu à deux mille exemplaires, Rose poussière a eu et a encore des adeptes suffisants, de Severo Sarduy à Mehdi Belhaj Kacem, pour assurer sa réputation. Ensuite, Schuhl n'a plus écrit, occupant son temps, notamment à New York, à la lecture des journaux. Ne rien faire ne lui fait pas peur. Venu à la littérature au moment où la mort de l'auteur faisait fureur, Schuhl n'a pas cessé d'y croire depuis et ne veut surtout pas céder au culte du moi autofictionnel. Dans Ingrid Caven, il se dépeint sous les traits de Charles, le genre tellement effacé qu'un jour quelqu'un demande devant lui:Ê«Mais dis-moi Paola, qui est cet être un tiers animal, un tiers végétal, un tiers minéral et peut-être un tout petit peu humain que tu nous as amené?»

L'écriture, justement, pour Schuhl est d'abord affaire de regard et d'imprégnation. Laisser les choses s'imprimer sur lui comme sur un papier journal et devenir ensuite la prose du monde. De Caven, il s'est d'autant plus imprégné q