Qui cherche toujours à comprendre comment l’Allemagne a pu produire l’hitlérisme et la «solution finale» doit lire le journal de Victor Klemperer. Ecrit par un intellectuel juif allemand rescapé de la Shoah, qui n’eut de cesse de témoigner au milieu de l’horreur et au péril de sa vie, ce document aussi exceptionnel que volumineux (1800 pages) a eu un retentissement considérable en Allemagne lors de sa parution intégrale en 1995, et fait de son auteur, comme il le souhaitait lui-même, un rare «historiographe de la catastrophe». Non pas après-coup mais en temps réel, jour après jour.
C'est que le destin de Victor Klemperer recouvre toute la tragédie nazie: fils de rabbin né en 1881, professeur d'études romanes à l'Ecole supérieure technique de Dresde, spécialiste érudit de littérature française, Victor Klemperer est destitué de son poste en tant que juif dès mai 1935, à l'âge de 54 ans. Bien que converti au protestantisme et marié à une «aryenne» également protestante, cet antinazi de la première heure va connaître alors la lente et implacable descente aux enfers des persécutés: sur 5 140 personnes formant la communauté juive de Dresde avant-guerre, 174 seulement sont encore là en février 45, la plupart, tel Victor Klemperer, ayant survécu du fait de leur «mariage mixte». Entretemps, l'auteur a connu l'expulsion de sa maison (si difficilement acquise), la vie en «Judenhaus» (maison réservée aux juifs), huit jours de prison en 41 pour non-respect du couvre-feu, l'obligation du p