Quel roi, quel philosophe pouvait égaler ta renommée? Quel pays, quelle cité, quelle ville n'entrait en effervescence pour te voir?
Qui, je le demande, ne se précipitait pour t'admirer quand tu te montrais en public, et ne cherchait à te suivre des yeux, cou tendu, quand tu t'éloignais?» On n'est pas obligé de croire Héloïse: c'est l'amour qui parle. Ni Abélard lui-même, évidemment, qui estime être «le seul philosophe au monde»: l'immodestie perce. Tout est vrai pourtant. Mais que de difficultés pour l'établir! Pierre Béranger, dit Abailard ou Abélard, est en effet un personnage si complexe «ni clerc, ni laïc, ni vraiment moine», trop sincère et trop charmeur, mélange de fougue et de froide logique, esprit ouvert à tout, vibrant à tout, intelligence sûre d'elle-même, tranchante et péremptoire qu'il désespère les tentatives de synthèse. Toute biographie, dès lors, est un pari. Celle que Michael Clanchy, chercheur au Warburg Institute, publie chez Flammarion, Abélard, le réussit assez bien cependant, parce qu'elle intègre les résultats des «études abélardiennes» des dernières décennies, parce qu'elle limite volontairement les risques, choisissant une «introduction à la vie et à l'époque» plutôt qu'un impossible «tableau exhaustif», et parce que, tout en se fondant sur les lettres d'Abélard et d'Héloïse, et sur cette lettre autobiographique qu'est l'Histoire de mes malheurs, posées comme sources authentiques, elle les corrobore par le maximum de témoignages externes, de lett