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Libération
Critique

Un sang d'encre

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A la fin du siècle dernier, un expert en criminologie a demandé à dix criminels de se raconter sur papier: des «liasses de vies» à l'état brut.
publié le 14 septembre 2000 à 4h20

Ils sont dix. Dix destins scellés, au coeur de cette époque dite Belle, par la brusque irruption de la violence et du crime. Neuf hommes et une femme, dont l'existence brisée doit s'habituer un jour au rythme de la prison ou de la peine. Tous n'ont pas suivi le même parcours, loin s'en faut. Certains, comme Camille Petitjean, ne sont que de simples voleurs, d'autres de sordides maîtres-chanteurs. Sans doute la plupart ont-ils partie liée avec la mort et le sang: assassins de leurs mères comme l'inverti Charles Double ou le bandit Claude Carron, tueur de femmes comme Henry Vidal, dépeceurs de cadavres comme Luigi Richetto, ou encore vulgaire Apache comme Emile Nouguier, qui étrangle pour la voler une tenancière de tripot. Mais ce qui les réunit est ailleurs, dans une étrange et commune expérience de l'écriture. A la demande du docteur Lacassagne, chef de file en ce début du siècle de l'école française de criminologie, tous ont en effet couché sur le papier, dans le silence de leur cellule, des fragments de leurs vies. Tous ont noirci de caractères souvent malhabiles des petits cahiers d'écoliers où s'expriment leurs souffrances et leurs crimes.

Ce sont ces «liasses de vie», rédigées entre 1896 et 1909 à la prison Saint-Paul de Lyon, soigneusement conservées par Lacassagne qui les légua en 1921 à la bibliothèque municipale de la ville, que Philippe Artières a réunies dans ce Livre des vies coupables. Les offrir à la lecture n'allait pas de soi. Comment «négocier» en historien l