«Les vies intimes recellent tant de choses qu'au lieu de les comprendre on finit par tout confondre»: cette sentence, page 89, pourrait être l'exergue de Perversions à La Havane. L'auteur, Miguel Mejides, raconte au présent, froidement et assez drôlement, la vie des habitants d'un immeuble situé paseo del Prado, au centre de La Havane. Une vingtaine d'êtres, traités avec la plus stricte équité, vont et viennent en brefs paragraphes. On commence par tout confondre, mais on finit par les comprendre: dans la déroute psychologique cubaine, la vie des uns n'a pas plus de sens que celle des autres ni moins. Voilà donc Hercules le mac, qui sort de prison. Les deux lesbiennes, Maria et Perla: «Les gens disent que Maria se coiffe d'une capeline hérissée de bougies qu'elle allume la nuit et qu'elle porte un ceinturon muni d'une verge de cuir», et ils ont raison. Samantha qui, chaque jour, quand son mari est parti, reçoit «la brûlure du tison de pierre de Bastian», son amant, un boulanger dépressif. Le mari de Samantha, qui lit (mal) la mort d'Emma Bovary aux rouleuses de cigare «Pauvre Emma, mourir ainsi dans la bouche d'Urpianito, mourir sans gloire» - et cache ses poèmes sous les bagues des puros en espérant qu'un étranger les lira. Il y a ce coq devin qui picore le nombril d'un nouveau-né. Et Pepe, qui raccole des mineures, et les fuit après les avoir droguées, effrayé par la vieillesse de son propre corps. Et la jeune Julieta, qui écarte ses jambes sous le nez de son professeur
Critique
Nos gens à La Havane
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par Philippe Lançon
publié le 21 septembre 2000 à 4h34
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