Paul Ricoeur est l'un des rares philosophes qui parlent aux historiens. Son vrai succès parmi eux, surtout depuis ce maître livre qu'est Temps et récit (1983), montre que son enseignement est entendu. L'une des raisons est que Ricoeur n'évoque pas l'histoire de façon générale mais qu'il réfléchit sur les travaux des historiens d'aujourd'hui, s'efforçant de les insérer dans un espace philosophique plus large. Le choc est parfois rude. Ainsi quand il fait, dans Temps et récit, la démonstration selon laquelle la Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II de Fernand Braudel (livre d'histoire-modèle de référence pour la corporation, avec sa définition de la structure historique articulée autour d'une approche ternaire du temps) peut être lue comme un récit, où la Méditerranée apparaît comme le quasi-personnage d'une grande intrigue géopolitique. Cette importance accordée à la dimension narrative de l'histoire, qui l'éloigne de ses prétentions à une certaine vérité acquise par le biais du modèle, a beaucoup contribué à transformer le regard que les historiens portaient sur leur propre discipline, à défaut d'avoir eu un réel impact sur leurs manières de faire.
La Mémoire, l'histoire, l'oubli se présente comme un prolongement nécessaire à Temps et récit qui s'intéressait à l'expérience temporelle, mais sans prendre en compte la mémoire. Cette extension est d'autant plus légitime pour le lecteur historien que l'historiographie a connu et connaît encore un «moment