Il en va de l’oubli comme de Dieu, de la mort ou du temps: en parler, c’est toujours parler d’autre chose. Saint Augustin le disait déjà: comment dire l’oubli sinon sous le signe du souvenir de l’oubli, tel que l’autorise le retour de la «chose» oubliée? Comment pouvons-nous savoir que nous avons oublié sans savoir ce que nous avons oublié? L’oubli est-il «empêchement à évoquer et à retrouver le « temps perdu »», ou bien résulte-t-il de «l’inéluctable usure « par » le temps des traces qu’ont laissées en nous [...] les événements survenus»? Y aurait-il, mer sans fond, un oubli absolu sur lequel, tant bien que mal, se détacheraient, comme autant de pointes d’icebergs, les souvenirs «sauvés de l’oubli»? L’énigme de l’oubli projette naturellement son ombre sur la question brûlante du rapport au passé: tant la question de la mémoire et de la fidélité au passé, par quoi se trouve impliquée l’histoire, que celle de la culpabilité et de la réconciliation avec le passé, par où s’introduit, en morale, le problème du pardon. Phénoménologie de la mémoire, épistémologie de l’histoire, pragmatique de l’oubli, ouvrant sur l’«horizon commun» du pardon: telles sont les scansions du dernier livre de Paul Ricoeur.
La Mémoire, l'histoire, l'oubli paraît en même temps que Karl Jaspers et la philosophie de l'existence, reprint de ouvrage de 1947 par lequel Ricoeur, qui a 87 ans, faisait son «entrée en scène». Ainsi sont fixées les deux bornes d'une oeuvre polyédrique, qui, tout en déployant son pr