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Libération
Critique

Y a pas photo

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Patrick Bouvet n'a pas besoin d'image pour nous faire entrer dans la légende.
publié le 28 septembre 2000 à 4h48

Ne pas feuilleter trop vite, ce n'est pas un livre blanc, c'est comme dans les contrats d'assurance, il faut lire les petites lignes. Ce sont des légendes sans photo, quelques lignes sur une centaine de pages blanches, lignes groupées en courts poèmes dans une marge de la page, laissant l'espace vide, comme un deuil, la trace sur le mur d'un tableau volé. Ce sont des légendes sans rien de légendaire, des légendes toutes crues, faites pour être crues. Parfois, elles nous disent quelque chose, comme lorsque quelque chose ne nous dit rien et qu'on se dit: ça me dit quelque chose. La plupart ne nous disent rien, rien, sinon les mots qu'elles disent, première légende, page 9: «Sur cette photo/ prise quelques secondes/ après l'explosion de la voiture/ piégée/ une silhouette tente de se relever/ au milieu des cadavres», la page est blanche, donc, et on n'a jamais vu cette photo, ou plutôt si, on l'a peut-être vue, cent fois, celle-ci ou une autre qui lui ressemble, dans le haut de la page, un nombre, 45, comme une mouche posé sur le cadre, comme une scorie d'imprimeur, on ne le comprend pas, on le comprendra plus tard, page 24, où sont présentées deux légendes pour trois photos absentes, on les imagine petites, puisqu'elles tiennent toutes trois sur une même page, «En haut/ Robert Oppenheimer/ après un essai/ examine les restes/ de la tour de lancement» et «En bas/ Hiroshima/ avant et après le bombardement/ 1945», d'autres nombres à deux chiffres vont surgir en haut de quelques pag