L'oeuvre de Violette Leduc (1906-1972) n'aurait-elle été qu'une minitornade dans le ciel glacé des lettres françaises du XXe siècle? Trop d'excentricité sulfureuse, de révolte impossible à contenir de la part de cette femme dont le seul engagement fut d'ordre littéraire ont certainement nui à sa survie. Ceux qui croisèrent la route de ce lièvre de mars ne l'oublieront jamais. Les autres se contentent du souvenir déjà lointain du scandaleux succès de la Bâtarde, en 1964, ou du film consternant tiré de Thérèse et Isabelle quelques années plus tard. Mais il y a ceux aussi qui, par la seule grâce de l'oeuvre de Violette Leduc, ont entrepris le douloureux pèlerinage menant aux sources de cet écrivain éclaboussant d'audace et de sincérité, et de surcroît indémodable. C'est le cas de Carlo Janseti, auteur d'une biographie scrupuleuse et objective, qui servit de prélude, l'an passé, à la résurrection enfin du manuscrit intégral de Thérèse et Isabelle.
Le puzzle s'assemble sous la plume de Janseti, qui dissipe le brouillard hypocrite entourant celle dont la sauvagerie était telle qu'elle dut lui valoir beaucoup d'ennemis. A commencer par ceux, sans doute, qui s'acharnèrent à déformer le flux noirâtre et particulièrement exalté de son unique matériau: l'autobiographie. Apparaît sous nos yeux l'enfant mal-aimée, née des amours furtives d'un fils de famille et d'une femme de chambre de Valenciennes (la phrase la plus fameuse de Violette restera: «Ma mère ne m'a jamais donné la main.» )