Heidegger l'a dit simplement: une table ne «touche» pas le mur contre lequel elle est placée. L'homme mesure du pied la dureté d'un sol, de la main la douceur d'une étoffe. Mais s'il «éprouve le monde qui le presse de toutes parts», c'est parce qu'il s'éprouve d'abord lui-même, «dans l'effort qu'il accomplit pour gravir la ruelle, dans l'impression de plaisir en laquelle se résume la fraîcheur de l'eau ou du vent». La table, la pierre ou la particule microphysique sont des corps. L'homme, lui, est chair, c'est-à-dire cela même qui, «se souffrant, se subissant et se supportant soi-même et ainsi jouissant de soi selon des impressions toujours renaissantes, se trouve, pour cette raison, susceptible de sentir le corps qui lui est extérieur, de le toucher aussi bien que d'être touché par lui». C'est par cette distinction, lourde de conséquences, que s'ouvre l'Incarnation de Michel Henry.
Si elle n'a pas atteint un niveau «public», la notoriété de Michel Henry, dans les cercles philosophiques, est grande. Son nom figure dans les manuels scolaires, à la suite de ceux de Merleau-Ponty, Levinas ou Ricoeur. Dès la parution de l'Essence de la manifestation, en 1963, on l'a qualifié de «nouveau Bergson», un «Bergson qui aurait lu Heidegger», selon le mot de cet observateur avisé qu'était Jean Lacroix (1). Et aujourd'hui, de sa «pensée originale d'inspiration phénoménologique», d'une haute technicité et de plus en plus imprégnée de spiritualité, on dit qu'elle a produit «l'une des oeuvres