Père installe sur une brouette mes deux frères et ma soeur et les emmène au cimetière. Avec une pelle, il creuse la tombe de maman et les place là, tous les trois, à côté de mère. Puis père rejette la terre dans le trou avec sa pelle, moi je l'aide avec mes mains. J'entends encore mon père me dire, comme si c'était hier: "Ne prends pas la terre avec tes mains, elle est froide, tu vas t'enrhumer." J'ai enterré mes frères et ma soeur avec mon père et puis mon père est mort. Le jour se levait, sous le nez de mon père, on distinguait une sorte d'écume. J'ai tâté sa tête, elle était froide [...]. Puis la charrette est passé, elle était pleine de morts empilés les uns sur les autres. Deux hommes sont entrés dans la maison. Ils ont posé père sur une civière puis l'ont balancé sur la charrette. J'ai eu pitié de mon père. J'ai cessé de vivre à la maison. Je dormais dans les écuries, dans les granges, j'étais gonflé, dépenaillé. La maison de mon père a été démontée; en quelques jours on a emporté le matériel de construction, les instruments et les outils. Il n'est resté qu'un tas de gravats. De ma famille, il n'est resté aucune trace ni tombe, ni pierre tombale. Seulement des noms.» Et Solovychtchouk Perto Makarovytch, né en 1921 dans la région ukrainienne de Vinytsia, d'égrener les noms des siens, tous morts de la faim entre mars et mai 1933. Ce paysan témoigne. Se souvient, se soulage aussi du poids d'un trop long silence. Et avec lui des centaines d'autres Ukrainiens.
Longtemps enfo