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Libération
Critique

Pour respirer le Buenos Aires.

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Rencontre avec Ricardo Piglia, homérique Argentin, auteur d'un classique de l'autodérision qui a mis vingt ans à traverser l'Atlantique .
publié le 12 octobre 2000 à 5h17

Respiration artificielle est le livre d'un peuple atteint d'une maladie étrange: la tuberculose culturelle. Les Argentins ont souvent l'impression qu'il leur manque quelques globules d'identité. Les Européens sont parvenus à créer là-bas, dit un personnage de ce roman tragi-comique, «le plus grand complexe culturel d'infériorité qu'aucune culture nationale ait connu depuis les temps de l'occupation de l'Espagne par les Maures». L'Argentin respire mal sur sa longue terre peuplée d'immigrants, mais il sait se moquer de lui-même, de son désert, de son complexe, et finalement cette moquerie le libère, le déchaîne, dans la rue ou dans des livres comme celui-ci. «Une chose est réellement mienne, dit un personnage, quand je connais son histoire et son origine.» Respiration artificielle illustre ce propos. C'est l'aventure initiatique d'un jeune écrivain, Emilio Renzi, un double de l'auteur qui cherche à rencontrer son oncle, historien fantomatique, et, à travers lui, son pays. En chemin, il croise des hommes, des textes, qui l'enfoncent dans la culture argentine. Là-bas, ce livre est un classique. Ici, on le publie vingt ans après, comme s'il avait traversé l'Atlantique à la page. Ricardo Piglia a dû le relire pour en parler. «Le livre a survécu aux circonstances, dit-il, c'est un livre qui semble avoir plusieurs vies.» Quand il fut écrit et publié, en 1980, une dictature régnait là-bas depuis quatre ans. Respiration artificielle, c'est d'abord cela: l'histoire d'hommes qui étouffe