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Libération
Critique

L'invention du bleu.

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Symbole de malheur et de deuil dans l'Antiquité, le bleu est devenu depuis la fin du XIIe siècle l'apanage de la Vierge et des rois, puis l'attribut de toutes les valeurs positives. Comment et pourquoi? Rencontre avec l'historien des couleurs, Michel Pastoureau.
publié le 19 octobre 2000 à 5h34

Quelque part au fond du sombre XIIe siècle, un miracle s'est produit. Pas une intervention divine, juste une intercession de la Vierge. Le bleu, une couleur qui n'existait pour ainsi dire pas, qu'on n'avait jamais vue, ni sur les parois de Lascaux, ni sur les robes des femmes, une couleur qui n'avait même pas de nom en latin, le bleu donc, tout à coup se retrouve partout. Sur les manteaux des princes, les vitraux des cathédrales et les enluminures des manuscrits. Peut-on expliquer un miracle? «L'histoire du bleu pose un véritable problème historique: pour les peuples de l'Antiquité, cette couleur compte peu(...)elle est même désagréable et dévalorisante(...) Or, aujourd'hui, le bleu est de loin la couleur préférée de tous les Européens. Il y a donc eu au fil des siècles un renversement complet des valeurs», explique Michel Pastoureau, historien des couleurs et des codes sociaux.

C'est pour expliquer ce renversement qu'il a écrit Bleu, histoire d'une couleur. Un livre où l'on découvre que ce qui nous paraissait évident, universel et éternel n'est rien de tout cela, où l'on déchiffre le code des couleurs, alors qu'on n'avait même pas réalisé qu'il y avait un code, et où l'on apprend qu'«une couleur ne vient jamais seule». L'historien nous embarque dans son enquête, à la recherche du détonateur qui a fait exploser le bleu dans la palette de la société occidentale. Un travail sur la chimie des pigments, le lexique, les vêtements et les mentalités, où il mêle délicieusement érudit