Le temps, ce n'est pas (que) de l'argent. C'est des mots, des sentiments, du vague à l'âme et du pas très juste au corps. C'est aussi de l'enfance qui traîne ou c'était: pour le cinéaste Jean Eustache, du moins. Et quelques autres, dont Lucile Laveggi. Elle a connu Jean Eustache. Elle l'a aimé, une parmi d'autres. Elle a cheminé avec sa mélancolie, son élégance, ses manières d'entrer dans la vie à trois heures du matin ou de l'après-midi, entre mirage et bouteille, tous rideaux tirés contre «la lumière crapuleuse» et sur le fil du couteau. Elle a observé avec joie, tristesse, pudeur, sa «lutte en permanence contre une vieille blessure active.» Et, vingt ans après son suicide en novembre 1981, elle en a fait son troisième roman.
Il n'est pas nécessaire de savoir que Damien est Jean pour sentir et comprendre ce livre, mais on n'est pas obligé de l'ignorer. De toute façon, il tient la route: celle des seventies. Roman, cette précision est ici la marque d'une délicatesse, d'un refus de s'approprier celui qu'elle peint si doucement. Laveggi ne la ramène pas: une seule fois, discrètement, elle signale qu'il n'est pas facile d'aimer un homme aussi libre et désespéré, et qu'elle en pleure. Le reste du temps, elle n'apparaît que pour l'accompagner et restituer l'époque que sa singularité incarna. Roman, c'est enfin une manière de rappeler que les souvenirs, les rêves, le désespoir d'Eustache, relèvent d'un monde assez perdu pour paraître inventé. Le monde de la jeunesse de Laveggi.