La démocratie est un régime fragile. Et si cette fragilité résulte pour partie d'oppositions politiques ou d'antagonismes sociaux, elle procède surtout d'une indétermination conceptuelle, inhérente à son principe, et qui en explique le caractère continuellement «sous tension». Tel est, brièvement résumé, le constat principal qui anime la réflexion de Pierre Rosanvallon et qui fonde sa conviction, selon laquelle c'est en pensant les formes de la démocratie dans le fil d'une «histoire longue» que l'on pourra assurer au mieux son exercice et son avenir. Faisant suite aux analyses consacrées aux questions du suffrage (le Sacre du citoyen, 1992) et de la représentation (le Peuple introuvable, 1998), l'ouvrage qui paraît aujourd'hui place au centre de la discussion une autre de ces équivoques fondatrices, celles de la souveraineté du peuple.
Car cette notion, elle aussi, a toujours fait problème. S'agit-il en effet de l'immédiateté d'un pouvoir populaire ou du simple consentement donné à celui des gouvernants? d'un principe direct ou d'un artifice technique? L'ambiguïté, qui se double évidemment de la répulsion des élites à l'égard d'un peuple assimilé au désordre ou à l'ignorance, est aux sources d'une antinomie majeure entre démocratie et principe représentatif, sensible dès les premiers débats des Constituants en 1789. En dépit de projets à foison, la Révolution ne parvint pas à trouver les voies d'un compromis acceptable entre la rue et les urnes, enfermant la démocratie représ