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Libération
Critique

Décadence des canards

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Tout en graphisme savamment mal léché, les amours contre nature d'un palmipède en auto à pédales, par Carlos Nine, le Kafka des basse-cours.
publié le 26 octobre 2000 à 5h48

Si Kafka avait été argentin, qu'il eût dessiné au lieu d'écrire et s'il avait été encore plus porté sur les poules qu'il ne le fut sur Dora, bref, en quelque sorte si Kafka n'avait pas été Kafka, il aurait pu être Carlos Nine. L'univers de ce dessinateur-scénariste plutôt rare (un album chez Albin Michel en 1991, un autre chez Delcourt en 1995) se tient, en effet, en équilibre au bord du rire et de l'angoisse. Il met ici en scène Saubon, un canard (ou un jars? ce «doute obscène» le ronge sans fin) plus ou moins paumé et amoureux d'une poule aux moeurs légères nommée Cu-cu, dans une série de chapitres autonomes. Comme Saubon (qui aurait pu être Donald s'il n'était pas Saubon) aime les poules, mais aussi les chattes (voire les cochonnes), sont grand ennemi est Morrongo le chat, un dangereux mafieux. Au volant de son auto à pédales, Saubon le croise régulièrement dans l'étrange ville qu'il sillonne à la recherche d'un travail (une sorte de désert nocturne où de maigres bâtiments très espacés semblent des météorites échoués). C'est ainsi que notre canard devient chanteur de boléros, puis serveur au Roxy, avant d'aller se saouler comme tous les soirs chez Victor: «Je me souviens des railleries cruelles des potes, des farces obscènes d'Alberto, des grossièretés d'Alfonso, des parodies sexuelles de Rogelio et des sarcasmes de Spiedo le poulet.» Est-ce l'alcool ou bien le décor qui finit par faire cauchemarder Saubon, ses aventures deviennent en tout cas page après page de plus en p