Chaque écrivain a un site réel ou imaginaire d'où il écrit. Pour Patrick Deville, c'est une terrasse de café, de préférence sur un port. Il aime la rouille des cargos, les grues géantes, le bruit des diesels, les cales sèches, les frigorifiques, les brumes de l'Atlantique et la poésie oraculaire de la météo marine. Il y observe les gens, médite des fictions possibles. Son dernier roman, Ces deux-là, est né dans un rade de Saint-Nazaire et au Café Sorocabana de Montevideo, l'un de ses lieux d'élection. «L'idée de départ, c'est cette remarque qu'on se fait souvent à soi-même, explique-t-il, pourquoi ces deux-là, à table? Et ces deux autres, là-bas et pas l'inverse?»
Ce lecteur impénitent aurait pourtant aimé être écrivain sans jamais écrire et atteindre ainsi le stade ultime de la sagesse bouddhiste: s'abstenir. Il est néanmoins entré en littérature par la porte des Editions de Minuit avec Cordon-bleu en 1988. Cinq romans ont suivi: Longue-vue (1988), le Feu d'artifice (1992), la Femme parfaite (1995) et Ces deux-là. Patrick Deville écrit quand il ne voyage pas en quête de noms de lieux et de visages. Il aime les vieilles automobiles, sait distinguer la Peugeot 403 cubaine (Hecho en Argentina) de celle de Sochaux. Mais il aime surtout naviguer et barre ses romans comme son voilier. Il suit ainsi sa route dans la littérature, tire un bord vers les sciences, un autre vers la philosophie et le plus souvent trace vent arrière, poussé par la poésie et la rêverie. Cette suspension du