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Libération
Critique

Le conte Hemon

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Quand des destins singuliers se télescopent avec l'Histoire. Rencontre avec un Bosniaque devenu romancier américain.
publié le 2 novembre 2000 à 6h06

On vient pour l'interviewer, et c'est lui qui vous met en boîte. Aleksandar Hemon prend deux photos, au flash, de chaque personne qu'il rencontre. Une formalité, explique-t-il. Voilà qui corrobore plaisamment son obsession notoire de l'espionnage (le Soviétique Richard Sorge est un héros récurrent de son livre) et fait une drôle d'introduction à cet enfant de Sarajevo qui a émigré à Chicago en 1992 pour devenir, en abandonnant sa langue maternelle, un auteur américain prometteur.

Dans ce premier recueil de nouvelles, intitulé en v.o. The question of Bruno, la recette est simple: il suffit de faire entrer en collision un destin individuel plus ou moins banal avec la grande Histoire et d'observer les résultats de l'accident. «La vie et l'oeuvre d'Alphonse Kauders» nous montre ainsi un étrange et flatulent scientifique qui traverse un demi-siècle de drames collectifs à la rencontre de Goebbels, Eva Braun, Staline, Tito et même Gavilo Princip, le régicide serbe à l'origine de la guerre de 14. Ce procédé de télescopage prend une consistance visible avec «Sorge et son réseau d'espions» où, dans la moitié supérieure de la page, le narrateur relate l'histoire de son père (qu'il soupçonne d'être un espion) tandis que la partie inférieure est occupée par d'abondantes notes mettant en relation chaque détail des aventures paternelles avec un événement de la vie de Sorge. «Echange de propos plaisants» puise également ses destins minuscules dans la famille de l'auteur et met en scène une «