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Libération
Critique

Les yeux d’Aragon

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Dans les années vingt, le jeune surréaliste gagne sa vie comme rabatteur littéraire du richissime couturier Jacques Doucet. Publication de ses lettres au mécène et à quelques autres. Féroce, brillant, violent et tortueux.
publié le 2 novembre 2000 à 6h06

En 1922, Louis Aragon, 25 ans, entre à la suite de son ami André Breton, même âge, au service intellectuel d’un riche septuagénaire: le grand couturier et mécène Jacques Doucet. Les jeunes écrivains lui rendent compte de la vie littéraire, de leurs états d’âme et d’esprit, de leurs voyages et découvertes. Ils sont ses rabatteurs de manuscrits et les rats organisateurs de sa formidable et naissante bibliothèque. Ils sont surtout les enfants sauvages, fauchés et bien payés, cultivés et surréalistes, du collectionneur: de l’homme qui acheta un Degas et un Monet à 21 ans, quand tout Paris en souriait. Breton y restera quatre ans puis se brouillera, comme presque toujours. Ses lettres à Doucet ne peuvent être publiées de par sa volonté testamentaire. Yves Peyré, directeur-conservateur de la bibliothèque littéraire Doucet, s’en désole: «Elles sont tellement extraordinaires que c’est pure folie de ne pouvoir les publier. Ce sont les lettres d’un homme qui se confie profondément. Les lettres les plus factuelles sont paradoxalement plus « fabriquées » que les lettres d’aveu sur soi.» Celles d’Aragon à Doucet sont publiées aujourd’hui. D’autres textes inédits, missives et chroniques, complètent le volume. Le tout forme un patchwork qui restitue l’ambiance créatrice des années vingt. Il dessine à l’intérieur, voltigeant entre plusieurs mondes, la personnalité kaléidoscopique d’Aragon.

Le jeune surréaliste a la dent dure et il est bien de (et dans) son époque. Ses deux lettres d'admirati