Menu
Libération
Critique

L'étrangeté de Camus

Article réservé aux abonnés
Après une «Campagne de France» qui prit des allures de Bérézina, Renaud Camus revient à la charge avec une salve de trois nouveaux livres. Doit-on les mettre sous haute surveillance?
publié le 16 novembre 2000 à 6h39

Depuis le printemps dernier, lire Renaud Camus est assez difficile. Il faut y aller ligne à ligne, ne rien laisser passer: pas un juif, pas une race, pas un Français de souche, c'est de mots qu'on parle. Il faudrait avoir en tête à tout instant les fameux passages de la Campagne de France, son journal de 1994 publié, retiré, puis republié avec coupes, l'an dernier, par Fayard. Ces passages caviardés provoquèrent l'«affaire Camus» et on sent qu'il vaudrait mieux ne plus les oublier. Un moment d'inattention, de paresse, de liberté, et hop, vous voilà désigné négligent, complaisant ou inconscient. Il y a de la police des lettres dans l'air. Elle vous invite à entrer dans les trois nouveaux livres de Camus avec, sur l'épaule, d'étranges criquets: un avocat, un juge, un dîneur culturel en ville. L'avocat propose les coupes dans les pages litigieuses; le juge condamne ce que l'avocat a oublié; et le dîneur, comme au printemps dernier, arme son fusil pour coller douze mots dans la peau de Camus condamné: réactionnaire, crétin, élitiste, raciste, etc., et surtout antisémite. C'est beaucoup pour un auteur et c'est trop pour un lecteur, même critique. Comment lire un livre librement, discrètement, quand on a sur le dos tant d'auxiliaires de justice et du qu'en lira-t-on? Premier conseil, donc: semez les flics avant d'entrer chez Camus.

D'autant que lui en a conscience: sa réputation est faite. Du moins, pour l'instant. Cependant il publie: il est écrivain et ne veut pas «capituler» ­ a