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Critique

Voile de Chine

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Ce n'est pas par pudeur que les Chinois ont refusé la vérité toute nue. Deux ouvrages du philosophe François Jullien, qui passe par l'Empire du milieu pour repenser l'Occident.
publié le 23 novembre 2000 à 6h59

Tout oppose la Chine et l'Occident, nous dit François Jullien dans un remarquable petit essai, quant à la présence du nu dans les oeuvres d'art. «Non seulement on ne rencontre pas de nus dans la tradition chinoise mais, plus radicalement, tout y dit son impossibilité.» Au contraire, en Occident, il constitue comme un paradigme, une valeur artistique essentielle. «S'il est un trait révélateur de l'aventure intellectuelle de l'Occident, esthétique mais aussi théorique, c'est-à-dire qui le caractérise en fonction d'un choix propre (et permette ainsi de parler d'Europe ou d' "Occident"), c'est bien le nu.» Voilà une forte question qui, dans sa simplicité apparente, rappelle d'autres interrogations devenues classiques comme celle de Lucien Febvre à propos de l'impossible athéisme au temps de Rabelais.

Le nu en Occident n'étonne ni ne choque, car sa représentation a toujours semblé de l'ordre de l'évidence. Des Grecs jusqu'à nos jours, il est la forme par excellence en sculpture et en peinture, celle que tout artiste se devait d'apprendre et maîtriser. Et même quand l'Eglise a voulu jeter un voile de pudeur sur les représentations d'Adam et Eve, pourtant chassés nus du paradis, c'est leur sexe qu'elle a recouvert, laissant les corps dévêtus. Avec la fin du classicisme, il a fini par s'académiser et perdre de sa puissance figurative, avant d'être transformé et désarticulé par l'art contemporain, de Cézanne à Duchamp. La photographie prend alors le relais pour pérenniser jusqu'à nos