Où s'exprime et s'exerce véritablement l'action politique? Dans les hautes instances ou dans les rouages obscurs de la machinerie d'Etat? Les responsabilités, bien sûr, sont partagées, mais l'historiographie n'a jusqu'à présent accordé que très peu d'attention aux acteurs administratifs, à leurs pratiques ou à leurs conceptions politiques du service public. D'où l'intérêt de l'ouvrage dirigé par Marc Olivier Baruch et Vincent Duclert, dans lequel une quarantaine d'historiens ont accepté de plonger «dans la cale de l'Etat» pour tenter d'évaluer la profondeur de l'attachement ou de la «culture républicaine» des fonctionnaires des années 1875-1945.
Les réponses apparaissent nuancées. Car si le régime fut servi par une immense et exubérante machinerie, sorte de «république administrative» forte à la veille de la Seconde Guerre mondiale de près de 900 000 personnes, celle-ci n'eut jamais la moindre unité, ni politique ni même fonctionnelle. Tensions, conflits, rivalités furent en effet incessants, et les marges de manoeuvre très inégales selon les services. Plus grave, de nombreux auteurs montrent combien cet imposant appareil ne fut jamais régi par les principes de liberté et d'universalité des droits pourtant affichés par la République. Ni les femmes, ni les colonisés n'eurent d'accès libre à la fonction publique, les catholiques furent victimes d'un ostracisme de fait, des épurations à répétition affectèrent certains corps, comme celui des magistrats, et le régime opposa une fi