Si le principe en incombe à la Révolution Française, c'est à la IIIe République que l'on doit l'instauration d'une relation durable entre le soldat et le citoyen. Jusque-là en effet, la faiblesse des effectifs et la pratique du tirage au sort limitaient fortement les rencontres entre la nation et son armée. En supprimant le remplacement, la loi de 1872 rendit tout à coup massive l'expérience de la caserne: plus de 60 % des jeunes garçons (ils n'étaient que 10 % au début du siècle) allaient désormais prendre le chemin des garnisons. Si l'on connaissait bien ce phénomène, ainsi que son rôle dans la nationalisation du pays, aucun historien ne s'était vraiment risqué à l'intérieur des chambrées pour tenter de saisir la «nature profonde et secrète de l'expérience vécue au régiment». A partir de l'ample matériau offert par les archives de la Première région militaire (Nord-Pas-de-Calais), Odile Roynette s'est attelée à cette tâche, s'efforçant de mesurer le désarroi ou la souffrance des jeunes conscrits, et l'importance de cette épreuve dans la construction des identités masculines.
Engagée aux lendemains de la défaite de 1870 par le nouveau régime qui souhaitait faire de l'armée un des instruments de la régénération nationale, cette réforme ne provoqua en effet guère d'enthousiasme. La conscription était de longue date récusée par la majeure partie des Français, et son élargissement ne pouvait qu'accentuer cette sourde hostilité. Pour les jeunes garçons, c'était désormais l'anxiét