En 1935, l'écrivain péruvien José Maria Arguedas est en vacances à Puquio, dans les Andes. Il y a passé une partie de son enfance. Sa belle-famille l'y maltraita et l'y relégua dans le monde tristement enchanté des domestiques indiens. Il a maintenant 25 ans et n'a publié que des nouvelles. Il est très sensible à l'exploitation des Indiens. Il veut les décrire tels qu'enfant il les a sentis: de l'intérieur. Bientôt, il sera le grand auteur «indigéniste». L'indigénisme est une forme justicière d'écologisme culturel propre aux pays andins. Il oppose à la violence et à l'injustice du monde péruvien le rêve d'une société indienne perdue: son paysage, ses épreuves, ses rites, son langage. L'indigénisme chante l'éden fantôme que l'Espagnol et la modernité auraient chassé: ce que Mario Vargas Llosa, dans son essai sur Arguedas, appelle «l'utopie archaïque» (1).
A Puquio, justement, Arguedas assiste à une corrida indienne rituelle et sanglante: la Yawar Fiesta, terme mi-quechua mi-espagnol, qui signifie la fête du sang. Elle a lieu le 28 juillet, jour de l'indépendance péruvienne. Il y voit un taureau éventrer un manieur de poncho indien. Deux ans plus tard, ce souvenir devient une nouvelle. Puis il écrit une première version de Yawar Fiesta, où il oppose trop mécaniquement les Indiens aux Blancs. Yawar Fiesta, le roman, paraît en 1941: le petit récit est devenu un chef-d'oeuvre et Arguedas, un écrivain. Que s'est-il passé? Entre-temps, Arguedas a introduit dans l'histoire les métis