C'est un exercice redoutable que celui de sortir du bois. Emperruqué depuis dix ans sous un faux prénom de femme, Yasmina Khadra avait écrit en Algérie six livres dont trois polars fameux qui lui valurent des milliers d'aficionados. Noirs les romans, noire l'Algérie, noire l'identité de l'auteur. Ces mystères en poupées russes avaient fini par fabriquer une oeuvre très particulière, toute empoissée de faux-semblants, dans un désordre d'adjectifs irrités.
Durant toute cette décennie, par fax ou masquant sa voix au téléphone, Khadra toujours anonyme avait distillé de rares interviews, sibyllines et tortueuses, pleines de «je vois ce que je veux dire et je me comprends». Un régal. Avec lui, la décennie noire algérienne, plus de 150 000 morts dans une folie de manipulations en série, avait trouvé une de ses oeuvres au noir.
L'écrivain a fait savoir en ce début d'année qu'il est temps de révéler son identité. Lucide, il s'est fait précéder d'un ouvrage autobiographique, l'Ecrivain. Devenu enfant de troupe à 9 ans, il y raconte son éducation chez les «Cadets de la révolution». Page 207, Khadra décrit comment, adolescent, il rencontre pour la première fois Leila, jeune demoiselle, après un long amour épistolaire. «Bonjour, lui dis-je. Elle sursauta visiblement agacée par mon sans-gêne. «Excusez-moi, j'attends quelqu'un.» «C'est moi que vous attendez. Je suis Mohamed de Kolea.»Le ciel lui tomba sur la tête. Quoi!...Elle m'avait toisé de long en large, la figure ramassée autour d'une g