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Libération
Critique

Tu n'as rien vu à Gorazde

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Avec «Soba» et «Gorazde», Joe Sacco, Maltais de Portland, raconte et dessine la guerre telle qu'il l'a vécue, sans complaisance ni goût du spectacle.
publié le 25 janvier 2001 à 22h09

«Tant qu'il n'y aura pas de cinéma olfactif comme il y a un cinéma parlant, il n'y aura pas de films de guerre, ce qui est d'ailleurs prudent, parce qu'à ce moment là, je vous jure bien qu'il n'y aura plus de spectateurs.» Voilà, c'est facile. On aime les représentations réalistes de la guerre parce qu'elles ne le sont pas le moins du monde. Cette phrase est de Chris Marker, on l'entend dans Level five. Ou plus précisément, ce qu'on aime dans les images de guerre ou de génocide, c'est qu'elles les occultent, les nient, qu'elles nous consolent. Voir la Liste de Schindler, La vie est belle. Quand on propose au regard de l'anesthésier, on a du succès, confer le pathos emphatique d'Auschwitz par Pascal Croci.

A l'opposé, pour représenter ce qui est «si peu présentable», Joe Sacco a choisi les petites errances, les ridicules, côte à côte avec la douleur, l'espoir. Ou parfois l'absence. Car ce Maltais de 40 ans qui vit aux Etats-Unis, à Portland, ne rapporte que ce qu'il a vu (peu) et entendu (beaucoup), dans la tradition subjective du journalisme américain où le documentariste se met en scène pour moins mentir: Joe Sacco se représente ainsi lui-même dans ses histoires comme une espèce de taupe, ironiquement affublé de lunettes opaques. Quatre ans après le très remarqué Palestine (voir Libération du 23 janvier 1997), Sacco revient avec deux livres-témoignages sur la Bosnie: «Je suis arrivé à Sarajevo à la fin du mois de septembre 1993, et je suis resté en Bosnie un peu plus de quat