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Libération
Interview

«J'aurais aimé être dupe plus longtemps».

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publié le 15 février 2001 à 22h56

Eric Chevillard préfère répondre aux questions par écrit, les bribes qui suivent ont été cueillies dans une conversation où l'on rompit plusieurs bâtons, elles n'ont pas son imprimatur :

«J'ai appelé un de mes personnages Alban Mialgues, un petit rôle, c'est un nom que j'ai relevé dans une commune de Lozère appelée Saint-Pierre-des-Tripiers, pour signifier qu'un écrivain n'est pas un type qui met ses tripes sur la table. Nos vies sont parodiques, il est fort possible que même nos émotions les plus sincères soient des effets de culture. L'homme est une entreprise de désillusion, l'humour dévoile l'horreur de la situation, c'est une forme de contre-attaque, il faut s'en sortir, regardez bien les visages : le rire et le hurlement nous défigurent de la même manière. C'est une réaction héroïque, contagieuse, avec un peu de chance, il sera repris en écho. La hargne et la jubilation sont la même énergie.

Il faut réagir contre le système en vigueur. Enfant, je trouvais normal d'être une caricature d'enfant, on avait tout prévu. Le seul pouvoir qu'on ait, c'est de nommer les choses, et, en les nommant à sa façon, on existe. Les gens sont surpris qu'on devienne écrivain, moi, je ne comprends pas qu'on puisse ne pas l'être, c'est une solution individuelle d'écrire, on croit sauver le monde, on défend sa peau. J'aurais aimé être dupe plus longtemps. Mais, après tout, Beckett travaillait pour se sauver, lui, et il m'a sauvé aussi : il découvrait le néant et le comblait, la résonance du néa