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Portrait

Halévy, le couteau dans la plèbe.

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Le parcours, dans un siècle qui n'était pas son genre, d'un brillant intellectuel juif qui voulut aimer le peuple, vira au pétainisme et mourut bien avant de mourir.
publié le 22 février 2001 à 23h06

Au tournant du siècle dernier, Daniel Halévy est un jeune intellectuel dreyfusard, éminemment cultivé, issu d'une grande famille de la bourgeoisie libérale orléaniste. Curieux de tout et désireux de connaître le «peuple», il participe alors à l'expérience des universités populaires, créées par de jeunes privilégiés humanistes. Ils veulent transmettre aux ouvriers ce qu'Halévy appelle «une culture générale adaptée à leurs besoins». Mais le jeune homme commet une petite erreur: il fait ses conférences avec de gros souliers et une veste de velours marron à grosses côtes qui deviendra pour les journalistes son emblème. Un ouvrier de Belleville: «Ses gros souliers nous indignèrent. Son habit négligé paraissait une insulte à notre dignité, en nous signifiant qu'ils nous croyaient incapables d'élégance. Sa négligence affectée nous humiliait autant que l'eût fait un diamant à son doigt.»

Trente ans plus tard, l'écrivain Jean Guéhenno écrit au même Halévy, devenu un notable des lettres puissant, réactionnaire, et maurrassien (quoique toujours infiniment courtois et intelligent): «Les petites gens, vous croyez les aimer, vous ne les aimez pas [...] Vous ne les aimez pas parce que vous n'êtes pas républicain, et vous n'aimez pas la République parce qu'elle appartient aux petites gens, parce qu'elle est, ou mieux, doit être, le gouvernement des petites gens.»

Ces deux anecdotes résument un bel esprit qui voulut aimer le «peuple», s'en fit une image dorée, mais, ne le supportant pas en mas