Le palais Feltrinelli n'a pas changé, mais le Milan-AC n'a plus son siège au rez-de-chaussée. De l'éditeur Rizzoli, le propriétaire à l'époque de l'équipe de foot, Giangiacomo disait pour rire que jamais l'autre ne lui volerait un auteur, car sinon il le jetterait à la rue lui et ses joueurs. Quand Carlo Fitzgerald Feltrinelli naît en 1962, les parents reçoivent les félicitations des Agnelli comme de Togliatti, le secrétaire général du PCI. La base communiste est un peu interloquée que l'on ait donné comme second prénom celui de John Kennedy, et le père doit préciser qu'il s'agit plutôt d'un hommage à l'auteur de Tendre est la nuit. Aujourd'hui, Carlo approche de la quarantaine et préside aux destinées de la maison fondée par son père. Senior service est moins une quête psychanalytique du père absent qu'une manière de faire la paix avec lui et d'être laissé en paix, en recomposant, dans un ultime geste de piété filiale, la figure écartelée d'un homme qui a vécu au temps où était grand le désordre sous le ciel.
Quand avez-vous vu votre père pour la dernière fois ?
C'est à Noël 1971-1972. J'avais presque 10 ans. Les dernières trois années de sa vie, on se voyait toujours à l'étranger, en Autriche, en France, en Suisse... Cette année-là nous passâmes les fêtes dans notre maison autrichienne en Carinthie. J'étais conscient de son choix de disparaître (ou tout au moins de se rendre introuvable). Il avait décidé de ne pas vivre ici, dans sa propre maison et pas seulement parce qu'il