Menu
Libération
Critique

Nécropole Morand.

Article réservé aux abonnés
Antisémite, vichyssois, élitiste, bref indéfendable, Paul Morand était un rétrograde aux rétroviseurs exceptionnels. Publication de son «Journal inutile» qui couvre les dernières années de sa vie et où ne pointe pas l'ombre d'un remords.
publié le 1er mars 2001 à 23h49

Paul Morand a 80 ans lorsqu'il entame, le 1er juin 1968, son dernier pain quotidien: le Journal inutile (1). C'est un homme vif, actif, sportif, baiseur, antisémite, coeur sec et aristocratique, qui soumet son emploi du temps au rythme et au ton de l'éternelle jeunesse. Son ami Jacques Chardonne vient de mourir, ils s'écrivaient sans cesse, le journal poursuivra la correspondance de survivant à défunt. Le 22 juin, état des lieux avant ce dernier contre-la-montre qui va durer huit ans, quasiment jusqu'à la mort: «Rien à lui reprocher, à mon corps: m'a servi sans défaillance, coeur, poumon, tête, muscles. (...) Seuls les genoux ont faibli: la vie vous plaque aux pattes, comme au rugby.(...) Je porte allègrement 25 kg, et les transporte. Pour les haltères, je dois redescendre de 5 à 3 kg. Quand je baise une dame, j'ai encore le sperme facile, abondant, avec spermatozoïdes; érection immédiate (...) Bonnes gencives, dues au massage avec les doigts, quotidien, avec iode décolorée et aconit», et l'inventaire se poursuit, les dents, les cheveux, les oreilles: le cavalier entretient et surveille ce qui reste en lui d'étalon; il sangle son vieillissement dans le style et la culture physique et mentale. Le constat est fait le 31 mars 1975: «La contrainte qu'impose l'éducation doit durer la vie entière.»

Morand vient d'un autre monde: la grande bourgeoisie d'avant 14. Il dialogue avec ses morts: les écrivains du passé, mémorialistes surtout, et les êtres qu'il a connus autour de la Grand