Menu
Libération
Critique

Au non du pire.

Article réservé aux abonnés
La correspondance et des poèmes de Gertrud Kolmar, juive berlinoise, qui par la puissance de son imaginaire et sa capacité de retrait, refusa jusqu'à sa mort en 1942 de se laisser atteindre par l'horreur nazie.
publié le 15 mars 2001 à 0h03

Une femme habite au milieu du pire. Juive dans le Berlin nazi, elle subit l'assaut croissant des humiliations: ordre de déménager, interdiction d'emprunter le tramway, travail obligatoire. Mais ce n'est pas grave, écrit-elle à sa soeur, émigrée en Suisse, cela lui rappelle son enfance quand elle rêvait d'habiter Sparte, cela n'entame pas l'immense oui qu'elle dit à la vie. Cette femme s'appelle Gertrud Kolmar. Elle est poète et aussi, on le découvre ici, une sorte impressionnante de sage. Lire sa correspondance est une expérience intense: un être construit lentement son détachement face à l'horreur quotidienne. Fin 1942, tout va au plus mal. Le père de Gertrud Kolmar, pour qui elle avait choisi de ne pas quitter Berlin, est déporté; toute sa famille a réussi à fuir, quoique pas toujours pour le meilleur (son cousin Walter Benjamin s'est suicidé); elle se retrouve seule même si l'appartement est envahi de locataires bruyants et plaintifs; Gertrud se lève tous les jours à quatre heures pour aller travailler; le reste du temps est envahi par les tâches ménagères; sourdement, elle doit savoir que le sort de son père l'attend, mais bon. «Et toute la souffrance qui m'a échu et peut encore m'échoir, je veux la prendre sur moi comme pénitence et ce sera juste. Je veux la porter sans me plaindre en estimant n'importe comment que c'est ce qui m'appartient, que dans mon être, j'étais faite et que j'ai grandi pour la supporter et, de quelque façon, en triompher. Cette force devant le de