Ala fin du XIXe siècle, la Suisse est devenue un grand pays touristique dont les stations réputées, Davos, Interlaken, Montreux, drainent les visiteurs par milliers. Elle a tout pour séduire: des sommets romantiques et des pentes sportives, des vallées souriantes, un climat réparateur. En dépit des apparences, ce «produit» n'a cependant rien de Suisse. Comme toutes les formes de loisirs modernes, il est une pure invention britannique. A partir d'une étude minutieuse des guides de voyage et des archives de l'agence Cook, l'historien suisse Philippe Tissot s'est ainsi attaché à montrer comment les Anglais ont élaboré au XIXe siècle un «produit helvétique», puis l'ont intégré dans le marché naissant de l'industrie touristique.
Initié par les pratiques aristocratiques du Grand Tour et par l'engouement romantique pour la montagne, le voyage en Suisse profita largement de l'essor d'une très abondante littérature de guides qui, selon les estimations de l'auteur, toucha au XIXe siècle près de 4 millions de Britanniques. Dominés par le célèbre handbook de John Murray, ces ouvrages pratiques construisaient en fait une étrange représentation de la Suisse, strictement utilitaire, et comme débarrassée de ses habitants au profit d'un idéal autarcique qui devait permettre au citoyen britannique d'apprivoiser un monde hostile. Concurrencés après 1860 par l'éditeur allemand Baedeker, ces guides se firent alors plus nombreux et s'ouvrirent à de nouveaux centres d'intérêt: alpinisme, sports d'h