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Libération
Critique

Le pays où l'on n'arrive jamais.

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Par le fondateur de la «Revue d'études palestiniennes» le récit doux amer d'un de ceux qui ont construit leur patrie en exil.
publié le 29 mars 2001 à 0h15

Peut-on avoir la nostalgie de quelque chose que l'on n'a pas connu? Manifestement oui. Lorsqu'il a quitté Haïfa, Elias Sanbar avait 15 mois; il a mis quarante-sept ans à y retourner. Presqu'une vie à imaginer, reconstruire ce que la mémoire n'avait pas eu le temps de graver: les amis envoyés en pèlerinage par procuration, les faux départs, les rendez-vous manqués... Finalement, Elias Sanbar a retrouvé un jour de décembre 1995 sa maison de Haïfa et, bien entendu, il ne l'a pas reconnue... «J'ai parcouru par deux fois notre rue sans parvenir à retrouver notre maison. J'avais pourtant mémorisé ses moindres détails, mais tout me semblait plus petit, plus réduit, que l'image que j'en avais.» «Mais alors, qu'étais-je venu faire ici?», s'interroge l'auteur qui s'était décidé à franchir le pas après avoir lu cette phrase d'Octavio Paz: «Que cherche le voyageur en parcourant sa patrie? Le lieu de sa naissance ou de sa fin? Peut-être cherche-t-il son destin.»

Aussi loin qu'il remonte dans ses souvenirs de cinéma et d'enfance, Elias Sanbar s'est rangé du côté des Indiens contre les cowboys. C'est peut-être ça, être palestinien lorsqu'on n'a pas connu la Palestine: la tendance innée à se situer du côté des persécutés, des victimes, des humiliés. A défaut d'une patrie, Elias Sanbar a élu domicile dans son enfance et dans les souvenirs des adultes qui l'ont entouré. Surtout ceux de son père, membre du haut comité arabe qui organisa la révolte de 1936, un notable palestinien urbain et culti