Quel chemin emprunter pour pénétrer dans l'oeuvre, mille fois commentée, mille fois dé- -cortiquée et toujours nouvelle, toujours fertile en surprises, de Montaigne, ce gentilhomme campagnard du XVIe siècle français, les Essais? La publication dans la collection «La Pochothèque» d'une nouvelle édition, dirigée par Jean Céard, conduit à se poser cette question. Il s'agit d'un volume tellement réussi qu'il est apte à satisfaire aussi bien les exigences scientifiques de l'érudit que le plaisir du lecteur moins savant: la précision fidèle au texte montanien y est en effet complétée par d'innombrables notes de bas de pages modernisant le vocabulaire, les tournures syntaxiques et expliquant les expressions tombées en désuétude.
Lisons donc Montaigne comme il lisait, lui. Lire Montaigne est semblable à voyager: dans les contrées, connues ou nouvellement découvertes, dans les villes Bordeaux, Paris telles qu'en ce siècle à peine sorti du Moyen Age elles étaient, dans les campagnes, dans l'alentour périgourdin de la demeure de l'auteur, dans l'Italie, dans les Rome, Athènes et Sparte antiques telles qu'elles s'étaient déposées dans son esprit. Mais, par dessus tout, au-delà des voyages plus ou moins imaginaires que constitue cette lecture, voilà un livre qui nous conduit à voyager dans une âme: «Je suis moi-même la matière de mon livre», écrivit l'auteur. Il convient ici de se permettre une distinction importante: il est question sous la plume de Montaigne de matière, nullement d'