Si deux périodes historiques marquent l'oeuvre de Patrick Modiano (l'Occupation et les années 50-60 sur fond de guerre d'Algérie), deux questions existentielles la hantent tout au long: les traumatismes de l'enfance et les troubles de l'identité. Livre après livre, à mi-chemin entre autobiographie et fiction, l'écrivain a exploré ces zones indécises de l'histoire française et de l'histoire intime à travers des récits de vies cassées, précaires ou même vaguement louches, toutes marquées au fer de la mélancolie. En quête d'une identité perdue, d'une mémoire défaillante, d'une image lointaine, ses personnages illustrent à la perfection cette phrase de René Char, souvent citée par Modiano, et selon laquelle «Vivre, c'est achever un souvenir.»
La Petite Bijou n'échappe pas à la règle: la jeune et poignante héroïne du roman éponyme achève, à sa manière, un souvenir. Perdue sans collier dans le Paris du mitan du XXe siècle, elle croise dans le métro une femme au manteau jaune en qui elle croit reconnaître sa mère, dont elle n'a plus de nouvelles depuis une douzaine d'années. Une vieille femme, à moitié folle, surnommée dans son gourbi de Vincennes «Trompe la Mort», comme autrefois on appelait «la Boche» la mère de la Petite Bijou. Celle-ci se met à suivre ce fantôme, et de filature en filature, remonte en elle son propre passé, jusque-là bloqué comme par un invisible couvercle. Son enfance de gamine abandonnée, son père inconnu, sa mère artiste mineure mais toujours absente et parti